Ceux qui lisent ce blog depuis quelques années savent que je suis un écologiste, parfois même radical dans mes propos. Je n’utilise pas de voiture, mon dernier avion date de 2012, j’achète plein de légumes en vrac et j’essaie de réparer plutôt que d’acheter neuf.

Malgré cela, j’ai beaucoup de peine à m’enthousiasmer pour toutes les manifestations de ces derniers temps en faveur du climat: j’ai questionné plein de personnes (pour la plupart des écologistes convaincus) et j’en suis sorti avec toujours la même sensation qu’il y avait quelque chose qui manquait.

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(source image)

Après quelques réflexions, et beaucoup de discussions avec des gens de tous horizons, j’ai trouvé le point qui clochait, et qu’on pourrait appeler:

L’écologie qui fait du mal à la planète.

il s’agit d’un concept recourant dans les milieux écologistes, et qui se compose des phases suivantes:

  • Une organisation découvre que dans un certain processus productif il y a un problème.
  • L’organisation en question estime que c’est irréaliste de s’attaquer directement au problème, et cherche une autre manière de contourner le blocage.
  • L’organisation théorise un processus productif parallèle, qu’il faut implémenter à partir de zéro et qui, une fois à régime, devrait supplanter complètement le processus qui pose problème
  • L’organisation fait du lobbying pour mettre en place le processus productif parallèle.
  • le processus productif parallèle est mis en place, et rentre dans les mœurs.
  • Le processus productif parallèle ne se substitue pas au processus qui pose problème, mais lui devient complémentaire.
  • La croissance du processus productif parallèle stimule celle du processus qui pose problème. Au lieu d’être supplanté par le processus parallèle, le processus qui pose problème en sort renforcé.

Allons voir quelques exemples pratiques.

Trains et avions.

  • Le monde de l’aviation invente l’avion low-cost.
  • Les gens apprécient ce nouveau modèle de gestion, et prennent l’avion de plus en plus souvent.
  • les compagnies low-cost mettent en place de plus en plus de lignes.
  • la population s’inquiète pour la pollution engendrée par les avions.
  • pour limiter la pollution engendrée par les avions, l’État développe le service ferroviaire avec une nouvelle offre à grande vitesse, avec des temps de voyage comparables à ceux de l’aviation.
  • La grande vitesse absorbe la plupart des ressources des compagnies ferroviaires, qui sont obligées d’abandonner les services lents, moins rentables mais moins chers.
  • Pour garantir le fonctionnement des trains à grande vitesse, les compagnies ferroviaires mettent en pratique une offre similaire à celle des avions: gares à l’extérieur des villes, réservation obligatoire, prix dynamiques, présence à quai à l’avance…
  • Les compagnies de car et les plateforme de covoiturage prennent la place des services ferroviaires abandonnés, plus lents mais moins chers.
  • Pour l’usager, il n’y a plus de différence entre le service offert par les avions low-cost et les trains à grande vitesse, et choisiront le service moins cher et plus confortable (qui souvent est l’avion).
  • La part de marché des avions augmente au lieu de diminuer, et une nouvelle offre routière se met en place, tandis que le train perd de plus en plus de parts de marché.

(Dans cette dynamique, la Suisse est le seul pays qui a réussi à construire des lignes à grande vitesse sans tuer le réseau classique)

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L’aéroport de Lyon St-Exupery

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Avant 2010, il y avait un bus entre Lyon Part-Dieu et l’Aéroport, au coût de 8 euro. (source image)
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Dans un souci d’amélioration de la desserte en transports publics de l’aéroport, une ligne ferroviaire entre Lyon Part-Dieu et Lyon St-Exupery a été mise en place. Coût du billet entre la gare et l’aéroport: 15 Euro. Pour rentabiliser l’infrastructure, les dessertes en bus ont toutes été supprimées.  (source image)
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Résultat: pour les lyonnais, il est désormais plus intéressant d’aller prendre leur avion à Genève. Coût du trajet entre Lyon et Genève Aéroport: 10 Euro. (source image)

En mai 2019, la Métropole de Lyon s’est enfin rendue compte du problème, et souhaite rénégocier les prix de la laiaison entre Lyon et son aéroport. 


Trains et voitures

  • Une nouvelle autoroute ouvre.
  • Des personnes et des activités s’implantent le long de la nouvelle autoroute, et utilisent la voiture pour leurs déplacements quotidiens.
  • Les riverains se plaignent qu’il y a trop de voitures sur l’autoroute.
  • En parallèle à l’autoroute, on construit une ligne de train.
  • Encore plus de personnes et d’activités s’implantent le long de l’autoroute et de la nouvelle ligne de train. Les personnes et les activités qui se sont implantés le long de la ligne de train utilisent les transports en commun le 90% du temps, et la voiture le 10% du temps.
  • Dans les 10% du temps où ces personnes utilisent la voiture, elles prennent l’autoroute.
  • Grâce à la ligne de train, le trafic sur l’autoroute augmente encore d’un 10%

Le bureau sans papier.

  • Les bureaux produisent beaucoup de papier.
  • Le papier est produit à partir de fibres de bois: la production de papier consomme énormément d’arbres.
  • Pour un souci d’écologie, on décide de digitaliser toute la bureaucratie.
  • les bureaux s’équipent d’ordinateur, et arrivent à faire par voie électronique le 90% de leur bureaucratie
  • Pour le 10% qui reste, les bureaux s’équipent d’imprimantes. Les formulaires sont saisis électroniquement, puis imprimés.
  • imprimer un document avec une imprimante est beaucoup plus facile que le saisir à la main. Du coup, on n’hésite plus avant d’imprimer.
  • La bureaucratie profite de la puissance de calcul des ordinateur pour demander des documents de plus en plus complexes, qui sont impossibles à faire à la main.
  • Résultat: la production de documents papier augmente au lieu de diminuer. En plus, la consommation énergétique des bureau augmente, car il est nécessaire d’alimenter de plus en plus d’ordinateurs.

Quoi faire alors?

Une première mesure qu’on peut prendre est celle de ne rien faire.

  • Sans les lignes à grande vitesse, le train et l’avion auraient chacun sa part de marché, et on aurait épargné la pollution due aux chantiers des nouvelles lignes.
  • Sans le train en complément de l’autoroute, on aurait un peu moins de trafic, et on aurait pas eu la pollution due à la construction de la ligne
  • sans la digitalisation de la bureaucratie, on aurait eu moins de papier, et moins de besoins d’électricité pour alimenter les ordinateurs et imprimantes.

Une deuxième possibilité est de laisser tomber la religion du progrès, et s’attaquer au processus productif qui pose problème, sans vouloir le remplacer à tout prix et sans peur de revenir en arrière.

  • On craint la prolifération des vols low-cost? On limite directement la capacité de l’aéroport.
  • On craint l’excès de voitures? On évite de construire des nouvelles autoroutes, et on travaille pour fermer les autoroutes existantes. (on peut construire – ou pas – une ligne ferroviaire en remplacement de l’autoroute, mais cela est secondaire).
  • On craint l’excès de papier dans les bureaux? On réduit la bureaucratie et on demande moins de documents aux entreprises.

C’est sûr, celles-ci ne sont pas des mesures indolores, et probablement il sera nécessaire de mettre en place des mesures d’accompagnement pour aider les particuliers et les entreprises à s’adapter à un scénario de descente énergétique. Mais c’est sûr que ces mesures coûteront beaucoup moins que la politique écologique actuelle.

Pour aller plus loin sur le sujet, je vous conseille deux articles de Low-Tech Magazine: